La mécanique quantique menacée par une théorie universelle de l’entropie-formation ?

Des trois branches majeures de la physique, c’est la mécanique quantique qui semble s’imposer mais cette hégémonie ne serait-elle pas une sorte de victoire épistémologique à la Pyrrhus ? Je m’explique. L’incroyable précision des mesures quantiques ancre dans le marbre un formalisme qui semble occulter une partie essentielle de la réalité. Sans doute pourrions-nous en dire autant de la thermodynamique et de la cosmologie. Les scrutateurs de la physique quantique peinent à l’interpréter et lui faire dire ce qu’elle signifie quant aux réalités des champs de « matière ». Ces énigmes quantiques furent la source d’innombrables conversations entre spécialistes. Dans un article paru récemment dans Nature, le statut des fonctions d’onde et des vecteurs d’état est à nouveau discuté. La signification de l’état quantique n’est toujours pas décidée. Cet article cite un propos du physicien Jayne selon lequel le formalisme quantique n’est pas uniquement épistémologique. C’est une sorte d’omelette mathématique où sont mélangés des informations décrivant la réalité du monde physique et d’autres des informations partielles que peut capter l’observateur en étudiant le système quantique. La fonction d’onde est complexe mais peut-elle représenter une sorte d’état physique se demandent les auteurs de l’article (M.F. Pusey et al. Nature physics, 8, 472-476, 2012). Et cette interrogation est cruciale parce que la science physique, hormis son efficace opératoire dans l’expérience, doit aussi fournir des représentations du réel, autrement dit, faire en sorte que la plupart des formalismes utilisés soient en correspondance avec des réalités, qu’elles soient physiques dans le monde d’action, ou métaphysique dans le monde de la substance.
Bien souvent, les mathématiques noient la physique avec des correspondances, des équivalences, des théorèmes qui ont une validité incontestable dans le champ des mathématique mais sont dépourvus de signification physique. Je crois qu’il était important de faire cette mise au point qui devrait être placé au début de tout essai ayant la prétention de dire l’univers en prenant appui sur la physique théorique. Cela dit, il se peut que la cohérence des mathématiques puissent anticiper les réalités physiques et pour parler comme Galilée, le grand calculateur universel utilise un langage mathématique pour ordonner le monde en devenir.
Il y a peu, Paul Davies et Vlatko Vedral se sont livrés à une étrange conversation. La mécanique quantique serait défectueuse selon Vedral qui n’en reconnaît pas moins les succès expérimentaux de cette théorie qui « agace » avec ses superpositions d’états alors que dans le monde classique, il n’y a qu’une seule balle de golf sur le terrain. Pour Roger Penrose, cet état de fait est dû à l’intervention de la gravité alors que Vedral y voit un problème technologique lié à l’impossibilité d’expérimenter la gravité quantique. Puis envisage une conjecture plus aisée à tester en imaginant la possibilité de traquer des particules dont le statut serait intermédiaire entre celui du boson et du fermion. Cette distinction nous ramène en effet aux réalités des particules. Les fermions comme l’électron obéissent au principe de Pauli et ne peuvent pas occuper un même état. C’est ce qui rend possible la chimie avec les associations d’atomes par le biais des couches électroniques. Le photon à l’inverse est un boson. D’après Vedral, il est possible de tester la possibilité d’un statut intermédiaire mais si cette quête échoue, cela ne dira rien sur la signification quantique de cette situation.
Pour le moment, l’une des questions importantes et finalement partiellement résolue semble-t-il concerne le devenir de l’information dans les trous noirs. Nos deux confrères évoquent le revirement du « grand maître » Stephen Hawking sur ce sujet (une longue histoire racontée par Leonard Susskind). Quoi qu’il en soit, les trous noirs sont des objets étranges dont la formalisation reste pour moi un mystère lié à la conscience, à notre perception, si bien que je crois rejoindre Vedral en supposant qu’il manque un ingrédient essentiel pour l’élaboration d’une physique complète. Qui va l’emporter des trois branches de la physique ? Vedral envisage que la gravité puisse dépasser la mécanique quantique qui alors, perdrait son statut presque universel, mais cela suppose que la gravité puisse être quantifié et ce n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour. Les scientifiques en quête de nouveauté peuvent saliver mais il ne sort rien de bien tangible actuellement. Ou bien aucun génie de la physique ne s’est manifesté, ou bien il existe une impossibilité ontologique déclinée en limite technologique. Nos petits calculs humains seraient des approximations du calculateur universel. Lequel fonctionnerait, comme l’explicite Vedral, avec des mécanismes qui nous sont étrangers du point de vue physique, comme les superpositions d’états (la cohérence) et les états intriqués (je traduis ainsi le mot anglais entanglement, lié au non séparabilité). On se trouve donc face à un mur épistémologique
Il ne reste plus alors qu’à chercher des « noises » au formalisme quantique, quitte à couper les cheveux en quatre et les particules en deux. La mécanique quantique fonctionne admirablement ce qui n’empêche pas Vedral d’aller traquer ces éventuelles imperfections. Il met en avant la question des opérateurs. Un des postulats de la mécanique quantique dit qu’à tout opérateur correspond une quantité observable et que toute observation doit passer par un opérateur (précisons, cet opérateur est une fonction mathématique qui s’applique aux fonctions d’onde décrivant le système de la particule et cet opérateur n’est pas n’importe lequel puisqu’il doit être hermitien, autrement dit avoir des valeurs propres qui sont réelles et donc qualifiées pour décrire l’observation). J’essaie d’analyser ces remarques plus qu’intéressantes. Le monde quantique est observable avec des contraintes mathématiques très fortes, bien qu’au niveau de l’expérience, l’indéterminisme soit la règle. Ce qui laisse penser à une certaine structure dans le monde interactif et qui dit structure dit ordre dans l’information et donc un certain type d’entropie. La toile matérielle du monde n’est pas une matière informe mais une sorte de « trame particulaire » ou plus précisément un « champ de processus » quantifiés qui ne se laisse observer qu’en jouant avec les mathématiques quantiques, en opérant sur ce champ déjà structuré avec ne l’oublions pas, un dispositif expérimental capable d’effectuer des mesures très fines. Justement, c’est ce jeu d’où part Davies pour une habile conjecture à laquelle répond Vedral. Les mathématiques quantiques offrent des possibilités qui dépassent les capacités de stockage de l’information et de calcul, si bien que la physique quantique contiendrait le germe l’amenant vers son autodestruction. Non pas qu’elle devienne inopérante dans son propre champ mais plutôt qu’elle échoue à livrer une connaissance complète de l’univers. Et donc, si comme précédemment on peut affirmer avec Vedral que la mécanique quantique parle du monde physique objectif, alors on ajoutera sans trahir l’auteur qu’elle n’en parle que partiellement. En adhérant de plus à l’éventualité d’une possible révolution en physique.
L’épistémologue se doit d’examiner le statut de chacune des branches de la physique contemporaine. Il semble acquis que la mécanique quantique est pratiquement achevée, comme peut l’être la mécanique rationnelle et la cosmologie relativiste. Reste la thermodynamique. Pour l’instant, on doit reconnaître l’efficacité opérationnelle des branches de la physique en soulignant ce qui paraît relever des limites ontologiques. La physique se veut objectivante, elle formalise l’inscription de l’objet dans le dispositif de mesure et de calcul de l’observateur mais elle rate l’objet réel. Maintenant, quel est l’objet étudié. Les particules, ou bien le mouvement des solides, ou alors le mouvement des masses dans l’univers ou enfin l’évolution d’un système au cours du temps. C’est justement cet aspect évolutif qui fait de la thermodynamique une science des transformations et surtout une science du temps. Propriété qui se traduit avec l’énigmatique entropie qui marque de son sceau la brisure de symétrie et la flèche du temps irréversible. Cette science du temps n’échappe pas au doublet ontologique universel de la forme et l’énergie. En mécanique rationnelle, la quantité déterminante est le lagrangien, différence entre énergies cinétique et potentielle. En mécanique relativiste, E = mc2. En physique du rayonnement, E = h υ. En physique quantique, H ψ = E ψ. En thermodynamique, S = k log W et E = TS. J’ai écarté l’énergie interne, U. Il y a une raison. Seule, la quantité S importe dans une thermodynamique qui se conçoit comme la « science du temps » (U est constante pour un système fermé). La thermodynamique a des accointances suspectes mais heuristiques avec la théorie de l’information. Forme, information, transformation, évolution, science du temps. Il est temps d’examiner ces questions et d’essayer de formuler les bases d’une science universelle de l’entropie ou si nécessaire, de reformuler l’entropie. Mais peut-être que le défi est hors de portée de l’entendement… Du moins le défi mathématique car il se peut que des approximations spéculatives puissent approcher le réel et en donner une représentation plus exacte.
Il faudra suivre de près les explorations scientifiques de ces physiciens qui veulent en « découdre » avec le réel et qui dit découdre dit séparer les fils et les points qui tissent les champs de la nature.
Source : http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/